Yvonne
DROMART
Récit
Hommage par Maurice Mignon - 1960
C'est le cœur serré que j'évoque la figure si attachante d'une femme qui fut à la fois une mère exemplaire, une parfaite épouse, et un écrivain, qui nous laisse des proses et des vers animés de convictions profondes et de lyrisme essentiel. Car ce que je voudrais mettre en relief tout d'abord chez Yvonne Grenier-Dromart, c'est la foi dont elle était l'expression vivante, par ce caractère indomptable qui était le sien, avec des audaces que faisait pardonner sa sincérité, avec cette flamme qui brillait dans son regard droit, avec cette ardeur de langage qui donnait à sa parole des accents d'une inoubliable véhémence. Ainsi l'ai-je connue et aimée, incapable de bassesses, toujours prête à soutenir les nobles causes : nous avons lutté ensemble à la Dante Alighieri, et dans d'autres sociétés marseillaises, pendant de longues années, avec des succès et des revers constants, pour donner à la grande cité phocéenne cette vie spirituelle dont elle rêvait, ce foyer d'intellectualité qu'elle aurait voulu créer, et qui reste encore à faire, tellement l'œuvre fut contrariée par les deux guerres mondiales, qui portèrent un coup si sensible à l'esprit dans tous les domaines ; aussi s'associait-elle de tout coeur à ces cours publics de la Faculté des Lettres d'Aix, qu'elle suivait assidûment, et que la ville de Marseille a tristement abandonnés. Au Conservatoire elle a joué un rôle important dans les jurys dont elle était membre, apportant un précieux appui à Maître Audoli pour les concerts classiques et à Elie Vézien pour les conférences d'histoire de l'art ; nous avions songé à lui confier, à notre Faculté, des cours de diction et de déclamation, qu'elle commença d'ailleurs, et où elle savait inculquer à ses élèves, avec l'amour du beau, la science du bien dire; qui est si rare même chez nos meilleurs acteurs:
En tout et partout, fidèle aux vertus héroïques d'un père, qui mourut victime de son dévouement en soignant les varioleux de la Bouilladisse, de Roquevaire et d'Auriol, abandonnés par les autres médecins, elle avait hérité de lui le goût et le courage de l'apostolat. On le vit bien lors de la guerre 1914-18, qu'elle chanta dans la ravissante idylle de «Jeanny», qui lui ouvrit les portes de l’Académie de Vaucluse, saluée par Odysse Richement en ces termes vibrants dans la «Croix de Marseille» du 26 Août 1917 : «Le souffle qui fait palpiter ces délicieux feuillets est celui de la patrie, la pensée qui les anime est d'une noblesse qui émeut. Quant au vers, il est d'une souplesse et d'une harmonie qui charme du commencement à la fin; c'est une véritable musique, sans fioritures, ni banalités, ni monotonie, ni fadeur ; mieux encore, c'est une symphonie, semblable à celles, toujours si suaves, que le vent tire de nos pins chanteurs, à travers nos collinettes et nos vallons embaumés, dont le poème de Mlle Dromart a gardé tous les parfums. Je ne crois pas m'aventurer trop en affirmant que «Jeanny» demeurera la jeune soeur heureuse de «Mireille». Notre grand Mistral en eût avec joie accepté le parrainage.
Les mêmes convictions la soutinrent pendant la récente guerre, où elle continua de jouer son rôle de vaillance et de poésie exaltante des vertus de notre race, et particulièrement de cette Provence, à laquelle elle demeura fidèle toute sa vie, depuis le précieux petit livre des «Cours d'amour», édité par la Revue le Feu en 1919, et préfacé par son grand ami et admirateur Emile Ripert, suivi, à la page 50, d'une bibliographie, jusqu'à ses derniers écrits, toujours consacrés à cette terre qu'elle a tant aimée.
Pour célébrer ta gloire, ô ma chère Provence
Pour chanter les héros, nés sous ton ciel d'azur,
Qui partirent gaîment, le cœur plein d'espérance,
Par un matin d'été calme, riant et pur ;
Je devrais emprunter les accents de Mireille;
Ce verbe harmonieux rénové par Mistral.
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Mais je ne peux hélas, ô Provence adorée,
Rimer aucun poème en ton langage ancien ;
Mon idylle en sera beaucoup moins colorée,
Mes vers moins expressifs, Jean moins «Arlésien» ;
Moi dont l'aïeul était un poète félibre,
Un chantre exubérant de son pays natal,
Ce pays du soleil où tout flambe où tout vibre,
Je ne lis qu'en français «MIREILLE» et «CALENDAL»
Ainsi s'exprimait-elle, avec sa franchise coutumière, dans le Prologue de sa «Jeanny», de même qu'elle célébrera avec enthousiasme le «Roy René» d'Emile Ripert et de Jacques Normand, né à l'ombre des pins de la Provence, au bord de sa mer chantante, dans le golfe d'amour de La Ciotat, sur cette terre où verdissent les lauriers immortels, sous la caresse d'un soleil brûlant où revivent ……. les troubadours de jadis, avec ces cours d'amour, qui ont sans doute changé de rites, mais qui gardent le même culte de la femme éternelle, l'«ewige Weiblichkeit» de Goethe prêtre de la vraie humanité. A cet égard, Yvonne Grenier Dromart eut le courage de s'élever contre le rôle dévolu à la femme dans la civilisation actuelle, où elle devient de plus en plus, contrainte par les nécessités sociales, l'égale de l'homme, alors qu'elle devrait rester celle qu'elle fut de tous les temps sa compagne et sa consolatrice : «Faudrait-il en conclure, avec regret, termine-t-elle en un bel article de l' «Express du Midi» du 12 février 1935, qu'elle n'est plus créée pour aimer et pour être aimée ?»
Aussi bien n'est-ce pas ici le lieu d'évoquer son œuvre littéraire, qui mériterait une plus importante étude ; je préfère m’arrêter sur la femme exemplaire qu'elle fut, à son foyer et dans le monde, sachant faire partir de sa famille, un époux tendrement aimé, Emmanuel Grenier, qui ajoute à un prénom biblique un patronyme célèbre dans la science, illustre lui-même par un art éminent de sculpteur, et deux enfants nés sous le signe de Mistral, Mireille et Frédéric, cette sorte d'irradiation spirituelle et morale, dont elle embellissait tous ses proches et tous ses amis, et qui se révèle admirablement dans le poème de la «Maison», cette villa des Lauriers, digne du Mercier de la province roannaise:
O ma chère maison, maison de mon enfance,
Que de vieux souvenirs sommeillent sous ton toit.
O petite maison sous mon ciel de Provence,
Aucune n'apparaît aussi belle que toi.
Tes murs sont décrépis, ta toiture est branlante,
Et tu peux t'écrouler au souffle du mistral,
Toi qui fut bombardée en mil neuf cent quarante,
Pauvre cher Oustalet, oustau familial.
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Les hivers sont venus : dans la maison mal close
S'abattaient à la fois la pluie et le vent ;
Pour que Décembre alors ne soit pas trop morose,
Chers arbres, vous avez le soir, sous votre auvent,
Répandu la douceur de votre ardente flamme,
Vous réchauffiez ainsi tout notre pauvre corps,
Imitant les aïeux qui veillent sur notre âme,
Vous vouliez, même morts, nous protéger encore....
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Sur des arbres nouveaux, nous cueillerons peut-être
Des fruits plus savoureux à la belle saison.
Pour nos petits enfants qui sous ce toit vont naître, Ressuscitez, mon Dieu, notre pauvre maison.
Laissons le lecteur sur cet émouvant témoignage d'attachement au foyer et à la terre, qui fut justement couronné aux Fêtes du Rhône de l'Académie Rhodanienne en 1950, ainsi que tant d'autres poèmes d'Yvonne Grenier-Dromart, qui chanteront toujours dans notre mémoire, et resteront présents, comme elle, à notre pensée et à notre coeur.
Maurice Mignon
Modifié le 20/08/2009