Alexandre Moreau de Jonnès a eu une longue vie plutôt bien remplie et c’est peu dire.
D'origine bretonne, il nait à Rennes le 19 mars 1778 et décède à Paris à l’âge de 92 ans, le 28 mars 1870. Il sera élu en 1849 membre de l'Institut et de l'Académie des Sciences Morales et Politiques dont il était le correspondant depuis novembre 1816 [section géographie et navigation]. Il épousa une créole martiniquaise, Rose de Gourselas, descendante de l'un des fidèles compagnons de «Monsieur du Parquet» neveu de Belain d'Esnambuc. Son fils, également prénomé Alexandre et qui sera publiciste, naquit en Martinique en 1808 et mourut à Passy en 1878.
Brillant collégien à Rennes durant les premières années de la révolution française, il « monte » à Paris en février 1791. Il est aussitôt enrôlé, malgré son jeune âge, dans les Gardes-Nationales (section des Minimes) pour ses qualités physiques et morales. Il vient d'avoir 14 ans. Durant cette période, il côtoie Tallien, La Fayette et Danton.
Dès lors sa vie va basculer dans l'Aventure révolutionnaire. Il va connaître une destinée des plus mouvementées qu'il retracera de façon romanesque et quelque peu romancée dans son livre «Aventures de Guerre au temps de la République et du Consulat».
En octobre 1792 il répond à l'appel de la « Patrie en Danger ». Il est incorporé au bataillon d’Ille-et-Vilaine. Son unité est tout d'abord envoyée dans le Morbihan pour y contrer la sédition chouanne. Son unité participe au combats de Hédé et de Vannes. Elle sera ensuite affectée à la défense du port de Brest menacé par les escadres anglaises.
C'est à partir de Lorient où il est embarqué sur un navire corsaire, et ensuite de Brest, où il est versé dans l'artillerie de marine qu’il sera amené fortuitement à voguer à destinations des Îles. Dès lors, il se passionne pour les Antilles où il rencontre les derniers caraïbes de Saint-Vincent, encore libres…il se battra à leurs côtés. Il se mettra également au service de Victor Hugues, qui de la Guadeloupe reprise aux anglais et libérée de l’esclavage, entreprend de débarquer à la Martinique occupée par l’ennemi.
Il reviendra à la Martinique en 1802 lors de la restitution de la colonie à la France en conformité avec le traité de la Paix d’Amiens. Il y restera jusqu’en 1809. Moreau, chef d’escadron d’état-major, occupe principalement des fonctions d’aide de camp des généraux en place comme aussi parfois du Gouverneur militaire, l'amiral Villaret-Joyeuse. Durant son séjour, il découvre l'île et ses habitants avec lesquels il tisse des liens inaltérables.
Infatigable travailleur et curieux de tout, Moreau parcourt de long en large la Martinique soumise, dès la rupture de la paix d’Amiens, au blocus anglais. Il se transforme selon les moments, tantôt en géologue avisé, tantôt en cartographe averti, tantôt en subtil météorologue...
Il observe ses contemporains et les évènements avec une acuité sans pareille. Chaque fois, il notera de façon rigoureuse les nombreuses observations qu’il peut faire. Il les confronte aux connaissances admises à l’époque. Il en tire souvent des conclusions opposées aux thèses officielles. Mais il ne se contentera pas d'être un simple observateur des évènements. Moreau les provoque parfois et il participe alors pleinement à leur dénouement.
Il relatera son expérience et ses travaux dans des ouvrages relatifs à la géologie des îles, aux maladies tropicales (fièvre jaune), aux recherches statistiques. Aujourd’hui ses nombreux écrits sont abondamment repris et cités par les historiens de la caraïbe. Nul historien moderne qui n’en fasse pas une solide référence. Certaines de ses publications ont été traduites en anglais, italien ou encore en espagnol. Des ouvrages comme « Aventures de Guerre » et « Recherches Statistiques sur l’Esclavage Colonial » ont été réédités récemment.
Possédant de réels talents de dessinateur et une bonne maîtrise des techniques de calculs topographiques ainsi que de restitutions cartographiques, il réalise de nombreux
croquis et aquarelles de différents endroits de la Martinique. Il dresse également une série de cartes dont il a le plus souvent assuré les relevés topométriques. Les méthodes qu’il emploie sont approuvées par Beautemps-Beaupré «le père de l’hydrographie moderne». Pour les besoins de ses travaux, Alexandre tente également de reconstituer
l'historique de la production des cartes de la Martinique.
Dans «Aventures de Guerre», Moreau consacre plusieurs chapitres à la description de ses travaux cartographiques notamment ceux de la Dominique et de la Martinique. Il est fortement dommage que plusieurs des ses cartes aient disparu : dérobées et détruites, gardons espoir!!! elles ne sont peut être que seulement égarées dans les greniers de l'histoire …
Sa production de «vues» nous est heureusement restée. Elle est actuellement conservée aux Archives de l'Outre-Mer à Aix-en-Provence dans «l'Atlas de Moreau de Jonnès» ou «Atlas de la Martinique». Elle contient 30 vues descriptives de l'île, certaines sont aquarellées.
En 1809 les forces britanniques envahissent à nouveau la Martinique. Les dernières forces françaises retranchées au fort Desaix capitulent après une longue et glorieuse résistance. Moreau qui participe à ces évènements sera fait prisonnier et transféré en captivité en Angleterre. Il y goûtera à l’ambiance de ces fameux pontons où ont croupi tant d’infortunés prisonniers de guerre.
La paix revenue, il est libéré en 1814. Durant les "cents jours" lors du retour de Napoléon 1er, il rejoint l'armée de la Loire. Il est ensuite nommé fonctionnaire au cabinet du ministère de la Marine. Il y sera chargé de travaux statistiques et topographiques. Ses nombreux travaux statistiques seront récompensés en 1819 par l’Académie Royale de Paris, de laquelle il obtiendra le premier prix en statistiques, science alors émergente.
Entre 1817 et 1823 une épidémie de choléra décime le moyen-orient. Son expérience de la fièvre jaune aux Antilles lui vaut d’être admis au sein d’une commission chargée par le gouvernement d’établir un rapport sur la propagation de la maladie. Homme de terrain, pour les besoins de sa mission, il n’hésitera pas à se rendre sur place. Il y étudiera les mesures de restriction à prendre dans les échanges commerciaux et les déplacements des personnes afin de limiter l’expansion de la pandémie.
Moreau produira un ouvrage consacré à la catastrophe sanitaire. Il sera publié en France en 1831. Cet ouvrage contient une carte présentant la propagation du «choléra morbus pestilentiel».
Faut-il rappeler qu’entre 1832 et 1835, une dévastatrice épidémie de choléra, touchât plus particulièrement la Provence ? Elle fit en France plus de 100 000 morts
Ce tragique épisode sera décrit par Jean Giono dans son roman «Un Hussard sur le toit».
Les prescriptions de Moreau de Jonnès en matière de circulation des hommes ont-elles permis de confiner le fléau ?
Quoiqu’il en soit, devenu par la force des choses épidémiologiste, Moreau de Jonnès restera, pendant près de vingt ans, membre du Conseil Supérieur de la Santé de France.
A partir de 1828, il occupera un poste de chef de bureau au ministère du Commerce où il entamera véritablement la carrière de statisticien qu’on lui connaît. Adolphe Thiers le charge en 1833 de compiler l'ensemble de la statistique française du moment.
En 1840, Moreau obtient un renforcement de son service qui devient alors le "Bureau de la Statistique Générale de la France" (SGF) attaché au ministère de l’Agriculture et du Commerce. Il le dirigera jusqu'en 1851. La SGF produit durant son administration une publication monumentale en 13 volumes (in-4°). Son action contribue à développer en France les travaux statistiques et leurs usages.
Moreau de Jonnès laissera une importante production sur des domaines variés dont une partie non exhaustive est présentée dans le tableau ci-dessous. Cet autodidacte, cet homme à l’érudition universelle est aujourd’hui considéré comme une référence sur l'histoire des Îles Antilles (notamment de la Martinique). Ce personnage de roman historique, cet héros en herbe, cet humaniste romantique, trouverait certainement sa place dans un film à grand spectacle et n’aurait certainement rien à envier à Indiana Jones. Moreau de Jonnès mériterait bien une biographie plus approfondie.
Aujourd'hui au moins deux grandes villes françaises lui rendent un hommage bien mérité. Fort de France et Rennes ont prêté son nom à l'une de leurs principales rues. A Fort de France, bien entendu la rue Moreau de Jonnès est l’un des axes du centre ville de la capitale de Martinique. A Rennes la rue Moreau de Jonnès, dans le centre, jouxte près des quais le Boulevard Villebois-Mareuil.