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Auteur : Sylvie CRÉPIN - Fri, 19 Apr 2024 14:53:50 +0000
QUESNEY Blanche

Blanche
QUESNEY


Blanche
QUESNEY

Récit


Lettre à Mamy Blanche


Au Robert le 31 Juillet 2012.

Lettre à ma Grand-Mère …

Mamy Blanche, c’est comme ça que nous t’appelions mon frère et moi.

Je ne sais pas suffisamment de choses sur toi et sur ta vie, aussi je vais te raconter au travers de mes souvenirs, de ceux de tes cousins et cousines qui ont bien voulu les partager avec moi et de ce que je sais par les archives.

Tu es née le 31 Mai 1907 à Ablon. Tu es la cinquième de ta fratrie qui comptera huit enfants. Tes parents, Alphonse Quesney et Marguerite Chasles étaient journaliers au château et à la ferme du château d'Ablon, petite commune rattachée à Honfleur dans le Calvados.

Vous habitiez dans une petite maison tout près de la mairie, construite en 1830, où vous étiez à l'étroit, d'autant qu'après toi, la famille a continué de s'agrandir.
Je ne sais rien sur ton enfance, et ne possède des photos de toi que quand tu es jeune fille*. Tu as travaillé au château toi aussi, comme presque toute la famille. Est-ce là que tu as rencontré ton futur mari ?

Tu as épousé Alexandre Crépin* le 9 Avril 1932 à Genneville, tout à côté d'Ablon. Il était journalier lui aussi, mais je crois qu'il avait appris le métier de menuisier. Sur les photos du mariage, vous semblez être heureux, mais j'ai cru comprendre que ce fut de courte durée. De cette union tu n'as eu qu'un seul fils, Pierre Crépin* (mon père), qui est né le 1er Juin 1933 à Honfleur, soit un an et deux mois après la nuit de noces. Vous vous êtes séparés très peu de temps après la naissance de votre enfant, et votre divorce sera entériné le 24 Mars 1951.

Tu es retournée vivre chez tes parents à Ablon, ton bébé dans les bras. Maria*, ta soeur ainée qui ne s'est jamais mariée, vivait avec vous sous le même toit et a contribué à élever Pierre. Toute ta vie tu as pu compter sur son soutien indéfectible. Tu as fini tes jours avec elle.

De l'enfance de Pierre et de ta vie à ce moment-là, je ne sais pas grand chose. Il a été entouré de beaucoup d'amour et d'attention, un peu trop couvé peut-être.
À l'âge de vingt ans, ton fils a contracté la tuberculose. Il a été accueilli au sanatorium d'Osséja pendant trois ans, pour se refaire une santé. Il en guérira. Comment as-tu vécu cette séparation ? Après cela il est parti suivre des cours du soir en comptabilité à Paris, et c'est là qu'il a rencontré ma mère.

C'est de ce mariage (1959) que nous sommes nés mon frère (1962) et moi (1964).

Mes premiers souvenirs de toi remontent à mes deux ans à peu près, dans la maison qu'a occupé mon père après sa séparation avec ma mère, à Bezons. Je te revois, ainsi que Maria, mais c'est très furtif. À l'âge de quatre ans, nous sommes venus en vacances chez toi et Maria, accompagnés de notre père, à la Rivière-Saint-Sauveur, Place Albert Harel*.

Mon frère et moi avons grandi dans une maison confortable de la banlieue Ouest parisienne, aussi les vacances chez toi étaient source de grand dépaysement.

Comment dire, le confort était pour le moins rudimentaire. Il n'y avait pas de chauffage, seulement une cuisinière qui s'alimentait avec du bois dans la pièce principale, l'eau courante arrivait dans l'évier de la cuisine et dans le jardin et c'est tout. Il n'y avait pas de salle de bains et nous faisions nos besoins dans des seaux hygiéniques disposés dans les deux chambres. Il m'est arrivé d'aller le vider dans la Rivière-Saint-Sauveur qui passait tout près de chez toi, c'était pour moi une grande aventure !!! L'hiver vous faisiez chauffer votre lit avec des briques que vous préleviez dans le four de la cuisinière. Quant à votre maison et votre jardin, c'était un grand bric à brac !!! Vous ne jetiez jamais rien. Tout pouvait servir un jour, alors forcément ça avait vite fait de s'accumuler dans tous les coins et recoins.

J'ai le souvenir que toi ou Maria, ou les deux, vous cuisiniez bien, c'était bon. Je me souviens avoir écossé des petits pois frais avec toi. Tes confitures étaient succulentes.

Au fond de ton jardin tu avais installé des clapiers où tu élevais des lapins, que tu vendais sur le marché ou dans ton entourage le moment venu.
Tu étais très habile de tes mains et je t'ai toujours vu tricoter ou crocheter des ouvrages qui t'étaient commandés.

Vous étiez très pauvres et avez travaillé dur toute votre vie. Je crois que vous n'avez jamais vraiment connu la retraite. Tu te livrais à toute sorte de besognes, bien souvent très pénibles, comme couper du bois par exemple. C'est en faisant cela que tu as reçu un mauvais coup, qui a dégénéré quelques années plus tard et qui t'a été fatal. Tu étais très courageuse et aucune tâche ne te rebutait.

J'avais dix sept ans quand tu es décédée le 9 Août 1981, d'un cancer qui s'est généralisé. Tu as beaucoup souffert, malgré tout le soutien et l'amour que tu as reçu de Maria et de ton fils, qui t'ont veillée jusqu'à ton dernier souffle.

Je suis venue en train à ton enterrement, et j'ai découvert ce jour-là que tu avais un frère, André, qui était le parrain de mon père. Pourquoi n'en ai-je jamais entendu parler avant ? Il y avait plein de monde, mais je ne connaissais personne...

Mon père a dit ce jour-là : “ je sais ce qu'a été la vie de ma mère, elle a travaillé dur toute sa vie et n'a pas connu beaucoup de bonheurs. Elle s'est toujours sacrifiée pour moi. ”

Il te vouait une grande admiration et t'aimait de tout son cœur. Ta perte lui a causé un chagrin énorme. Après cela, Maria est allée vivre chez lui à Honfleur.
Tu as été une grand-mère présente, mais un peu sévère quelques fois. Le jour de ma communion, tu m'as offert une gourmette en argent, et c'est le seule souvenir matériel que j'ai de toi. Je pense que tu t'es ruinée pour ça, mais je n'en ai pris conscience que bien plus tard.

Je ne peux conclure cette lettre sans parler de ta peur phobique des orages. Je m'en souviens, tous tes cousins et cousines encore vivants s'en souviennent !!!
Tu passais beaucoup de temps à guetter les nuages derrière ta fenêtre, et cela pouvait parfois te mettre dans des états émotionnels épouvantables. Quelques fois mon père et sa seconde femme t'ont emmenée dormir chez eux, pour que tu ne cèdes pas à la panique, alors qu'il n'y avait pas de menaces réelles. Quand un orage éclatait vraiment, ce qui ne manquait pas en été, tu pouvais partir dehors comme une folle, dans la rue, sous la pluie, rien ne pouvait t'apaiser. En discutant avec les cousins de Saint-Benoît, Nicole et Jean, ils n'ont pas manqué de me raconter les nuits d'orages que tu as eu l'occasion de partager avec eux, lorsque tu allais en vélo avec Maria, deux jours par semaine faire le raccommodage chez leurs parents.

Tu nous as quittés en emportant avec toi beaucoup de mystères, beaucoup de secrets, beaucoup de non-dits, beaucoup de blessures non cicatrisées.

Après avoir enquêté plusieurs années sur la famille Quesney, j'ai découvert que vous étiez huit frères et sœurs, alors que nous pensions que vous étiez trois. Ton frère ainé Alphonse et sa femme Andrée, avec leurs enfants, ont vécu toute leur vie à la Rivière-Saint-Sauveur. Comment est-ce possible que nous ne les ayons jamais rencontrés  ? J'ai tant d'autres questions qui ne trouveront sans doute pas de réponse.

C'est pour que toutes ces mémoires familiales ne disparaissent jamais que je t'écris cette lettre, car tant que je parlerai de toi et tant qu'elle sera lue, tu seras toujours-là …

Sylvie


Modifié le 22/09/2012
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