Marie-Louise
DROMART
Une héroïque poétesse de Haybes
Période 1914-1921 - La guerre et les honneurs
Mais fin juillet 1914, des bruits inquiétants de guerre avec l’Allemagne se propagent dans le pays (7). Le 2 Août 1914, la guerre est déclarée, au milieu de la consternation générale. Les hommes mobilisables rejoignent leurs unités. La Poétesse reprend alors ses fonctions d’infirmière et a anticipé déjà (entre autre) à Haybes l’installation de deux postes de secours. L’un chez elle, principalement réservé à l’approvisionnement de matériels de soins, l’autre plus important dans la maison de ses parents, maison proche de quelques dizaines de mètres et destinée à recevoir les blessés. Sur les toits de ces deux habitations flottent le drapeau tricolore et le drapeau de la Croix-Rouge, symbole de neutralité et d’assistance aux blessés. Marie-Louise pense alors que ces postes de secours seront respectés par l’ennemi… Les événements du mois d’août démontreront malheureusement le contraire. (Première quinzaine d’août, cette ambulance a accueilli un soldat Français du 33ème RI, grièvement blessé, et qui malgré les soins du docteur Fontan, chirurgien de Revin, décède le 14 août 1914).
Malgré tout, du 2 au 24 Août, une relative confiance règne dans Haybes, les habitants voulant croire qu’une invasion est impossible dans cette région au relief trop accidenté et ce, malgré la reconnaissance d’avions ennemis qui survolent de temps à autre le pays et le déplacement chaque soir depuis le 16 août à Haybes des habitants des localités voisines. (7 &8)
Dans la nuit du 23 au 24 Août, l’exode massif des habitants d’Hargnies et de Villerzie va faire prendre conscience d’une réalité toute autre. Le 24 Août au matin l’ennemi est là. Marie Louise Dromart a pris la décision de rester et d’assumer ses fonctions de vice–présidente de la Croix-Rouge locale face à l'envahisseur.
Une patrouille de Ulhans qui effectue alors une reconnaissance à cheval est prise pour cible par les soldats français du 348ème Régiment d’Infanterie (ou 148ème de ligne), alors postés dans la colline qui surplombe Haybes. Un Uhlan est abattu. Les habitants sont accusés de cette attaque, malgré les fermes dénégations du maire. En représailles, le bourg va être bombardé. Il fallait un prétexte à la destruction de Haybes, l’ennemi l’a trouvé (4).
Les ordres sont donnés. Bientôt, les obus s’abattent sur les maisons durant plusieurs dizaines de minutes. Sitôt l’arrêt des tirs, l’ennemi poursuit sa progression dans Haybes, protégé par des habitants faits prisonniers et placés en tête des détachements. Marie Louise Dromart proteste énergiquement et se propose de remplacer seule ces malheureux Haybois. Le commandant allemand refuse la proposition de cette femme qui, peu de temps avant, avait déjà sauvé la vie d’un douanier à la retraite en interposant son bras muni de l’insigne des Croisés, entre le canon d’un fusil allemand et le pauvre homme mis en joue. (5 &13)
Lorsque les troupes allemandes protégées par le bouclier humain arrivent à découvert, aux environs de la rue du Calvaire (essentiellement des jardins et des près à l’époque), les troupes françaises postées dans la colline ouvrent alors un feu nourri. Plusieurs centaines de soldats allemands sont tués entre 9h et 11h du matin par le tir de mitrailleuses et de fusils des 250 fantassins français.(5, 11 & 12)
Furieux de cette attaque, l’ennemi va alors intensifier ses représailles et méthodiquement incendier les habitations. Le domicile de Marie Louise Dromart, malgré le drapeau de la Croix-Rouge sur le toit, est incendié dans les premiers (l’ambulance installée chez ses parents sera brûlée le lendemain). Les habitants non encore arrêtés sont massacrés ou blessés, d’autres faits prisonniers.
Prisonnière également, Marie Louise Dromart est enrôlée avec deux autres dames de la Croix-Rouge dans le service sanitaire mis en place par les Allemands au château de Moraypré, afin d’y soigner les leurs. Sous les ordres des médecins majors allemands, du 24 au 30 Août elle va prodiguer ses soins, sans relâche à des hommes qui bien qu’ennemis n’étaient plus pour elle que des hommes blessés.
Mais cet hôpital de campagne déjà saturé, offre à notre infirmière une vision d’horreur “ matelas alignés sur le sol, litières de paille recouvertes d’un simple drap, brancards dégoutants de sang et barrant l’entrée des salles, et, dans tout ce désordre effrayant, des infirmiers aux visages exaspérés, aux gestes fiévreux, énervés jusqu’au paroxysme par l’odeur de la poudre et le sifflement des obus ” (sic)(5). Le domaine de Moraypré n’est pas seulement un lazaret. Les Haybois faits prisonniers y sont ramenés et enfermés dans les sous-sols des dépendances (plus de 400 personnes). (5 &11)
Privés de nourriture et d’eau, maltraités, ce n’est que le 25 août que Marie Louise Dromart est autorisée, suite à son intervention, à leur porter de l’eau.
Moraypré en Août 1914. Sur le perron, les médecins et officiers allemands.
Moraypré en Août 1914. Sur le perron, les médecins et officiers allemands.
Moraypré en Août 1914. Sur le perron, les médecins et officiers allemands.
Cette journée du 25 août est essentiellement marquée par le “ coup de mains ” d’une section du 18ème Chasseurs venue de Rocroi. Au petit matin, après avoir franchis la Meuse la veille, 20 militaires Français commandés par le sergent Brelin, s’infiltrent dans les rues de Haybes et vont faire subir des pertes importantes aux troupes allemandes. Appuyée par le tir des mitrailleuses postées dans la colline, cette section de chasseurs va traquer l’ennemi sans faillir. Ils “ décrochent ”, quelques heures plus tard, à court de cartouches. Avec les combats de la veille, l’ennemi compte plus de 1500 tués dont au moins 15 officiers. Beaucoup de blessés également, presque 400, qui vont être acheminés vers Moraypré. (5 &11).
Le commandement allemand est furieux et parle de représailles. L’apprenant, Marie-Louise Dromart profite de la présence du général baron Von Fauchenstein, commandant la 47éme brigade pour susciter sa pitié envers les habitants, restés passifs durant les combats…Les habitants prisonniers sont épargnés, mais subissent humiliations et sévices dans le parc du château. Egalement, quelques exécutions ont lieu, comme la veille.
Le 26 août, des civils de Haybes et d’Hargnies réfugiés dans les ardoisières de Belle Rose sont arrêtés et passés par les armes. En soirée, un dernier convoi de prisonniers civils arrive à Moraypré, parmi lesquels la fille et la mère de Marie Louise.(5)
La libération des femmes et des enfants intervient le lendemain, 27 août. Marie Louise Dromart et madame Mignot également infirmière font le choix de rester à Moraypré au service des blessés, bien qu’officiellement “ libres ”. Marie Louise Dromart va alors demander au médecin-major Mersdorf d’envoyer au village un médecin, afin de s’occuper des personnes malades et blessées. Deux majors escortés par deux soldats vont accompagner Marie Louise Dromart dans les ruines encore fumantes de Haybes, ou plusieurs dizaines de personnes vont recevoir les soins attendus.(5)
A son retour à Moraypré, elle est envoyée auprès d’un officier, grièvement blessé afin de lui administrer une injection de morphine. Quelle n’est pas sa joie, malgré les circonstances, quant elle s’aperçoit que l’officier est Français. Jusqu’alors, il lui avait été formellement interdit d’approcher les militaires français blessés. C’est le premier contact que Marie Louise Dromart a avec le lieutenant Ternynck…(5)
Elle va continuer à prodiguer ses soins jusqu’au 30 août, date à laquelle elle fait part au major Mersdorf de son intention de quitter Moraypré.
Il lui faut maintenant organiser les soins pour les victimes civiles de Haybes restées dans les caves ou pour certains à l’ambulance de Moraypré. Elle compte alors sur l’hospice de Fumay pour répondre à cette mission. Malheureusement, elle doit se rendre à l’évidence, l’hospice regorge de blessés et de réfugiés et ses capacités d’accueil saturées.(5 & 7)
Elle rencontre fortuitement un instituteur de l’école libre du Baty, monsieur Siffer, qui sensible à ses doléances, va ouvrir une classe afin qu’elle y installe un hôpital de campagne. De retour à Moraypré, elle organise avec le docteur Mersdorf les évacuations des victimes. Des majors allemands passent de temps à autre “ visiter ” les blessés maintenant rassemblés à l’école. Ils sont bientôt relayés par un médecin lorrain, le docteur Mangin. Ce médecin est un “ Malgré lui ”, enrôlé de force dans l’armée allemande. Il est d’un précieux concours pour notre infirmière.(5)
Le 10 septembre, Moraypré est évacué par les troupes allemandes et les blessés (militaires allemands et français) ramenés à Fumay et répartis dans les locaux de la place du Baty. Deux officiers français sont transportés au presbytère, les lieutenants Prost et Ternynck.
Grièvement blessé, le lieutenant Ternynck décède quelques jours plus tard, accompagné dans ses derniers moments par Marie Louise Dromart. Ses obsèques ont lieu le 14 septembre. Le convoi funèbre est conduit par un officier allemand et par le médecin-major français Georges Bourgeois. La cérémonie terminée, Marie Louise Dromart dépose sur la tombe un poème, rapidement écrit pour la circonstance :
Funérailles
Il pleut ! le vent gémit à travers le feuillage
Que septembre déjà revêt de moires d’or.
Des soldats prisonniers portent l’officier mort
Vers le lugubre atterrissage.
C’est un chef allemand qui conduit le convoi
Du héros couronné du sang de ses blessures.
Il pleut ! le vent sanglote à travers les ramures
Où le chant des oiseaux décroit.
Le cher enseveli n’a pas revu sa mère
Dont l’image hantait ses regards de mourant.
Il est tombé chez nous et pour nous, en s’offrant
Comme holocauste à notre terre.
Je l’ai soigné parmi les horreurs du combat :
Alors que mon hameau s’écroulait sous les flammes !
Pour que la France prit en pitié nos deux âmes,
J’ai baisé le front du soldat.
Mais quelle est impuissante, ô mon Dieu, la tendresse !
Vous n’avez pas voulu satisfaire à mes vœux
Et ma main pâle, hier, a fermé ses beaux yeux
De la Gloire et de la Jeunesse.
Il pleut…La porte sombre a grincé sur ses gonds :
Nos couronnes de fleurs vacillent dans l’air blême,
Que c’est triste !...Le vent râle un adieu suprême
Au ras des funèbres sillons.
Mais le chef allemand tout à coup se redresse ;
Il ordonne qu’on rende au Défunt les honneurs,
Et la salve prussienne éclate dans nos cœurs
Qu’elle fait saigner de détresse ;
Tandis que par-delà l’horizon l’on entend
Gronder le canon sourd de la grande mêlée,
Et que le ciel de lin tisse sur la vallée
Un linceul humide et flottant.
Fumay, 14 septembre 1914.
Dans les jours qui suivent, l’hospice de Fumay va enfin pouvoir accueillir les blessés de l’école et du presbytère, et de ce fait, permettre à Marie Louise Dromart, de trouver du temps pour s’occuper des habitants sinistrés de Haybes.
Démunis de tout, ils vont recevoir des vêtements et des vivres grâce aux connaissances de Marie Louise Dromart, particulièrement à Vireux.(5)
Dès qu’elle peut quitter les Ardennes, Marie Louise Dromart gagne à Paris l’appartement du 16 rue Parrot que le couple occupe ponctuellement en fonction des obligations d’Alexis Dromart (dont les affaires ne se bornent pas à la direction de l’usine de Haybes, usine dont le siège social est à Paris, 62 rue Miromesnil). (2)
C’est ainsi que depuis ce pied-à-terre parisien elle publie le 6 mars 1915 dans le journal “ la Renaissance ” le récit des premières heures de l’invasion de son village, sous le pseudonyme de “ un témoin ”. (10)
Malgré sa retraite parisienne, Marie Louise Dromart ne reste pas inactive. La seule façon pour elle maintenant de se rendre utile est d’aider les “ Poilus” dans cet enfer de feu et de sang. En février 1916, grâce à un réseau de connaissances et de relais aux quatre coins de la France, elle fait adopter 400 “ filleuls ” par des marraines de guerre, dont on sait que la tâche principale est de soutenir le moral des soldats. C’est sa façon à elle de participer à la défense de son Pays ! Dans les filleuls, on compte des soldats au front mais aussi des prisonniers. (2)
La guerre terminée, son attitude héroïque durant le conflit lui vaut d’être citée à l’Ordre de la Nation, citation parue au journal officiel du 24 octobre 1919 :
“ Mme Dromart (Marie Louise) demeurant à Haybes (Ardennes) ; demeurée à Haybes sous le bombardement du 24 août 1914, a réconforté et rassuré par son attitude courageuse, la population affolée, et particulièrement les femmes et les enfants. Par sa crâne intervention, elle a sauvé ce même jour la vie d’un douanier mis en joue par un Allemand ; quelques jours plus tard, ses protestations énergiques ont amené l’ennemi à cesser ses menaces de mort à l’égard des civils, hommes et femmes faits prisonniers avec elle. A fait preuve du plus admirable dévouement en prodiguant ses soins aux blessés civils et militaires jusque sous le feu de l’ennemi ”.
Le 1er décembre 1919, Haybes en ruines accueille le Président de la République Henri Poincaré. Au cours de cette visite, Marie Louise Dromart est chargée de lui remettre le rapport sur les atrocités commises à Haybes, rapport qu’elle a rédigé pour cette circonstance. C’est avec beaucoup d’émotion qu’elle remet son témoignage au Président, au nom de tous les habitants de Haybes. (5)
Malgré tout, l’appel de la Muse de la poésie reste présent. Dès qu’elle le peut, la poétesse reprend ses activités de “ Femme de lettres ”, après s’être investie dans la remise en route de son village. Elle participe à l’association “ La Renaissance de Haybes”, association qui a pour objet essentiel la défense des intérêts de la cité et de ses habitants, et, comme son nom l’indique, de favoriser dans la mesure des moyens dont elle dispose, la renaissance de la cité et la reprise de la vie économique.
Son unique ouvrage en prose intitulé “ Sur le chemin du Calvaire ”, préfacé par Lucien Hubert, sénateur des Ardennes, parait en 1920. Ce livre n’est autre que le récit du martyre de son village des 23, 24 et 25 août 1914. Ce témoignage, elle le doit aux générations futures.
Au Journal Officiel du 10 Janvier 1921, parait le décret la nommant à titre exceptionnel chevalier dans l’ordre de la Légion d’Honneur “ au péril de sa vie ” :“ Est nommée chevalier : Madame DROMART née GRES (Marie-Louise) vice-présidente du Comité des Dames de la Croix-Rouge pour la section Fumay-Haybes-Revin, domiciliée à Haybes (Ardennes). Dès la déclaration de guerre a participé à l’installation de postes de secours à Fumay, Haybes, Revin pour les soldats blessés. A installé ensuite un hôpital à Fumay, est restée à Haybes pendant l’occupation ennemie et a donné ses soins aux blessés avec un dévouement inlassable. Le 24 août, lorsque fut détruit le pont de Haybes sur Meuse, demeure sous le bombardement, rassurant les femmes et les enfants, veillant à leur évacuation sur le château Catoir à proximité. Elle se porta délibérément au devant des troupes ennemies quand elles débouchèrent dans le village. Lorsqu’il fut question de placer au devant des troupes ennemies les vieillards et les femmes de Haybes, résista courageusement aux injonctions de l’autorité allemande et s’offrit seule pour remplacer les malheureuses familles. Sa belle attitude ne réussit pas à fléchir le commandant du détachement. Pendant l’investissement de Haybes, a sauvé la vie à un douanier particulièrement visé. N’a jamais abandonné un seul instant la population de Haybes et fit preuve de fermeté, d’un grand dévouement et d’un ardent patriotisme qui ne s’est jamais démenti un seul instant. Sa belle conduite lui a valu déjà une citation au Journal Officiel du 24 octobre 1919 ”. (13)
Modifié le 19/01/2010